Paris
Auteur de textes à lire et dire et jouer,intervient dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production: LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011. Réalisations récentes: Nasr eddin Hodja avec Salah Teskouk, mise en scène de Gabriel Debray (Le local 2006) Ô Belleville par l'atelier de théâtre contemporain du Local (juin 2007- mise en scène de Gabriel Debray) Tout ça n'empêche pas Nicolas, par les mêmes, juin 2008 les tribulations d'Orphée juin , octobre 2009 ------------------------------------- Pour contacter: cliquer sur le lien "afficher le profil complet"

vendredi 30 mars 2007

Les bons sentiments




I


Il a tout su, il a tout vu !
Bien sûr il était là
Comment pourrait il en être autrement
Il est toujours là où il faut
Va savoir comment il se débrouille
Il fallait que ça tombe sur lui
Il était quand même pas là par hasard
Il faut toujours qu’il soit dans les bons coups
Et il fait l’innocent
Il en rajoute
Il s’étonne
Il ne comprend pas
Il s’interroge
Faudrait pas qu’il en fasse trop quand même
Il ne s’imagine pas que ça va prendre
Y’a des limites
Faudrait qu’il le comprenne
Faut qu’il fasse un effort
Il n’est pas tout seul
Il se prend pour qui
Faut qu’il réalise un jour
Ça peut plus durer
Il va s’attirer des ennuis
Et après il s’étonnera encore
Mais il sera trop tard
Alors il sera toujours temps de pleurer
Pourtant il était averti
Il savait à quoi il s’engageait
Il se fait des illusions
Il vit sur une autre planète
Il n’a pas le sens des réalités
Il est dans un autre monde
Il n’est pas d’ici
Faudrait pourtant qu’il réagisse
Qu’il prenne conscience
Qu’il atterrisse
Qu’il regarde les choses en face
Tant qu’il n’est pas trop tard
Qu’il garde les pieds sur terre
Qu’il considère la situation
Qu’il prenne une décision
Qu’il prenne les choses à pleines mains
Faut qu’il grandisse
Qu’il évolue
Qu’il s’assagisse
Il a quand même l’âge de raison
Il n’a plus trois ans
Il se comporte comme un enfant
Il manque de maturité
Il n’a jamais voulu grandir
Mais il a l’âge de ses artères
Mais aussi qu’il se regarde
Ah ! Il a l’air malin
Il n’est vraiment pas beau à voir
Et comment il est attifé
Comme ça il n’est pas présentable
Il fait tout pour être ridicule
A croire qu’il ne s’est jamais regardé
Qu’il s’habille chez le fripier
Il fait honte à la société
Et en plus faut qu’il la ramène
Il proteste
Il n’est pas content
Il a encore des choses à dire
Mais enfin pour qui il se prend
Cette fois ci il exagère
Et il insiste par-dessus le marché
Faut pas qu’il se plaigne alors
Après tout il a ce qu’il mérite
Il l’a cherché
Il l’a trouvé
Il récolte ce qu’il a semé
Faut pas qu’il demande de la pitié
Parce ce que c’est lui qu’a commencé
Qu’il ne s’avise pas de pleurnicher
Il n’a qu’à s’en prendre qu’à lui-même
Non mais il se fait des idées
Faut qu’il arrête de délirer
Et puis s’il n’est pas heureux ici
Il pourra toujours voir ailleurs
Ici personne ne le retient
Il n’est pas indispensable
Voilà qu’il a pris la grosse tête
Il se prend pour un génie
Il n’a pourtant rien de remarquable
Il est médiocre
Il est minable
Il n’a rien pour le sauver
Il devrait plutôt s’effacer
Il devrait se faire oublier
Non mais il n’en fait qu’à sa tête
Il s’entête
Il fait le malin
Faudrait peut-être lui faire un dessin
A croire qu’il ne comprend jamais rien
Faut qu’il reste
Faut qu’il s’installe
Faut croire qu’il a rien d’autre à faire
Il fait partie du paysage
Il est là
N’en démordra pas
Il doit savoir que c’est la fin
Qu’il n’a plus rien à espérer
Et qu’il aurait tort d’insister
Que la marmite va déborder
Et qu il lui faudra déguerpir
Ou le pire peut bien arriver







II


On aurait dû s’en douter
On aurait pu le prévoir
On dit bien « il n’y a pas de fumée sans feu »
On l’aurait parié
On est trop confiant aussi
On fait confiance à n’importe qui
On est bien naïf
On le savait pourtant
A croire qu’on le fait exprès
On l’avait pourtant bien vu venir
On aurait pu se méfier
Et après on se plaint
C’est bien fait
On ne récolte que ce qu’on a semé
Rien ne sert de se lamenter
On est devant le fait accompli
Faut faire avec ce qu’on a
On ne peut pas aller contre
On doit faire contre mauvaise fortune bon cœur
Dans le fond on fait ce qu’on peut
On se contente de peu
Quand on ne peut pas on ne peut pas
On n’est pas exigeant non plus
On ne demande pas l’impossible
On a le sens des réalités
Parfois vraiment on n’est pas compris
On ne sait pas comment se faire comprendre
On se trouve impuissant
On ne sait trop à quel saint se vouer
Alors on improvise
On tâtonne
On bricole
On n’est pas des dieux non plus
En fait on n’est vraiment pas grand-chose
On s’en aperçoit tous les jours
On aurait tort de s’entêter
Mais on y croit
On insiste
On ne s’avoue pas vaincu
On est là alors on y reste
On va son petit bout de chemin
On ne sait pas trop on l’on va
Mais on y va
On y va
On y croit en tout cas
On apprend avec l’expérience
On fait des progrès tous les jours
On s’étonne même quelques fois
D’autres fois on tombe de haut
On dit bien y’a des hauts et des bas






III
Ça suffit maintenant
Ça traîne cette histoire
Après tout ça n’a rien d’extraordinaire
Ça arrive tous les jours
Ça n’a rien d’étonnant
Tout ça est bien normal
Ça n’est pas la première fois
Ça vient ça va
Ça n’est pas une catastrophe
Si ça se trouve
Ça n’est pas si grave
Faut voir comment ça s’est produit
Ça mérite un examen
Ça dépend des circonstances
Faut voir ce que ça signifie
Ça n’est pas simple
Çà c’est sûr
Mais pleurer ça ne sert à rien
Ça aggrave la situation
Et surtout ça n’arrange rien
Faut en finir avec tout ça
Faut que ça change
Ça c’est certain
Faut que ça bouge
Ça c’est sûr
Ça demande de l’imagination
C’est de ça qu’on a besoin
Ça n’a rien de bien mystérieux
C’est ça
Ou c’est rien
Ça c’est clair
Mais ça va mieux en le disant
Ça soulage
Et ça fait du bien
Même si ça ne plaît pas à tout le monde


IV

Stop
Cessez-le-feu
Changement de direction
Faut pas se laisser aller
Faut réagir
Faut y aller carrément
Pas de discours
Debout
A l’action
Courage que diable
Au travail
Plus d’hésitations
Pas d’interrogations inutiles
A l’ouvrage
Au boulot
En marche
Au pas de course
De l’ordre
Pas d’affolement
Chacun son tour
A l’assaut
Pour la gloire
Pour l’honneur
Pour l’avenir
Du cran
Du nerf
De l’énergie
De la vigueur
Pas de quartier
Aux armes citoyens
En joue
Feu











VI


Doucement
Tout doux
Du calme
Pouces
Paix
Repos
Tranquille
Couché
Fini
Fini
Silence
Voilà
Dodo
Dodo
Dodo
Lalalalalalalalalala….



























Trois petits cochons

Il était une fois trois petits cochons ; il y avait aussi un grand méchant loup du nom de Lucifer ( du latin lux-lucis ; la lumière), drôle de nom pour un loup , aussi l’appelait-on Loucifer ou Loup si fier.

Le premier petit cochon habitait la savane à l’est du grand rift africain, c’était d’ailleurs une cochonne, on la nommait Lucie. Lucie s’était construit une maison de feuillage. Elle était chez elle lorsqu’on frappa à la porte. C’était le loup ! -« Ouh !Ouh ! Petit cochon, laisse-moi entrer dans ta maison ! ».-« Je ne veux pas ! »-« Alors, je vais souffler, souffler si fort que ta maison va s’envoler ! ». Et le loup souffla, souffla si fort que la maison s’envola. Alors, Lucifer se jeta sur Lucie et Lucie le laissa faire, et le loup mangea le petit cochon.

Le deuxième petit cochon habitait une maison en bois, au creux d’une clairière dans la grande forêt. Il se nommait Abel. Le loup passa par là et frappa à la porte.-« Ouh !Ouh ! Je suis le loup, laisse moi entrer dans ta maison ! » - « Tu es fou ! Jamais ! » - « laisse moi entrer ! ».- « Si tu veux, je peux de donner l’adresse du petit chaperon rouge, il habite une clairière, pas loin d’ici ! » - « Je sais, j’en viens ! » Et le loup souffla, souffla si fort, que la maison s’envola, alors le loup se jeta sur le petit cochon rose et le mangea.

Le troisième petit cochon qui se nommait Caïn habitait la ville d’Ur en Mésopotamie. Bien sûr, il avait construit en dur. Il vivait dans une maison confortable, trois-pièces, cuisine, salle de bain, eau courante, gaz à tous les étages (en Mésopotamie, ça coule de source…). Il était en train de préparer un pot-au-feu : carottes, navets, poireaux (il faut laisser du vert dans les poireaux, c’est ça qui donne le goût) , un oignon piqué de deux clous de girofle, avec la pelure, ça colore le bouillon, sel, poivre, deux feuilles de laurier, thym, romarin, une branche de céleri, amener à ébullition- lorsqu’on sonna à la porte. C’était le loup qui pensait : « je me ferai bien une potée auvergnate ! » - « Qui est-ce ? » - « Je suis le loup » - « Passe ton chemin loup ! » - « Je vais souffler, souffler sur ta maison, et je vais la détruire ! » - « Tu ne pourras pas, c’est une construction Bouygues réalisée par Perrault .» - « Perrault ? » - « Non, pas celui-là, l’architecte de la Bibliothèque Nationale“ -« Justement ! » Et le loup souffla, souffla, souffla...et la maison ne bougea pas ! Alors le loup, à pas de loup, grimpa sur le toit, s’introduisit dans la cheminée…et tomba dans le pot-au-feu. « trois heures de cuisson au moins » pensa le petit cochon . Dans la soirée il dégusta ainsi une tripotée : le loup, son frère et sa sœur qui étaient dans l’estomac du loup. Il eut une digestion difficile.

Il regardait la Télé : c’était un feuilleton américain, et c’était juste le moment ou le magnat du pétrole texan se penchait vers la jeune infirmière affriolante, nue sous sa mini blouse turquoise, et leurs lèvres allaient se frôler…quand on sonna à la porte. –« Qui est-ce ? » - « Je suis Moïse, ta conscience ! » - « que me veux tu ? » - « Caïn qu’as-tu fait d’Abel et de Lucie, ne connais-tu pas la loi, et le onzième commandement : tu ne mangeras pas ton prochain, et du cochon en plus ! Tu seras en proie aux remords ! ». Et en effet le petit cochon ne put fermer L’œil de la nuit.

Il était trois heures du matin et il regardait, sur une chaîne culturelle , un documentaire sur les marmottes quand on sonna à nouveau . –« Qui est-ce ? » - « Je suis le docteur Freud, petit cochon, n’as-tu pas lu Totem et tabou, qui t’as permis ce passage à l’acte, Veux-tu ébranler tout l’édifice de la théorie freudienne ! Le petit cochon était bien ennuyé, il n’avait pas voulu ébranler l’édifice de la théorie freudienne .

En sortant le docteur Freud rencontra Claude Lévi-Strauss qui passait par là.-« Doctor Freud, I presume, Claude Lévi-Strauss » -“enchanté”. Et Claude Lévi-Strauss sonna à la porte.-« Qui est-ce, » - « Ici Claude Lévi-Strauss, sais-tu que tu as enfreint un interdit majeur, une structure fondamentale, c’est toute l’anthropologie structurale que tu mets en question ». Le petit cochon était bien ennuyé, il n’avait pas voulu perturber l’anthropologie structurale.

Il y eut encore une autre visite, c’était les célèbres duettistes Herbert Marcuse et Théodore Adorno, mais quand ils eurent dit qu’ils venaient pour l’école de Francfort, le petit cochon ne les laissa pas rentrer : Francfort…pour un cochon !

Le petit cochon ne dormait pas, il était angoissé : qui allait venir encore ? Finkielkraut, Luc Ferry, ou pire Comte-Sponville ? Comte-Sponville ! Il ne supporterait pas !

A cinq heures du matin il eut une idée. Il décrocha son téléphone.-« Allô ? Mademoiselle, passez-moi votre patron….Vous n’êtes pas la secrétaire…ce n’est pas votre patron…passez le moi quand même. Allô, Walt Disney, ici Caïn. Dites mon vieux, Lucie, Caïn et Abel c’est fini, compris ? Maintenant c’est Naf Naf, Nif Nif et Nof Nof et vous me récrivez tout le scénario !»

Sans papier!


Sans papier (actualité brûlante)



T’es sans papier
T’es moins que rien
T’es sans boulot
Sans droit
Sans toit
T’peux pas bosser t’as pas d’papier
T’peux pas t’loger t’as pas d’papier
Et pour avoir des papiers
Faudrait qu’tu sois employé
Et pour qu’tu sois employé
Ben mon gars
Faut des papiers
T’es clando
T’es condamné
T’as pas d’adresse
T’as pas d’sécu
Ben mon gars
J ’peux pas t’soigner
Pour te soigner
Faut des papiers
Et puis mon gars tu exagères
T’fais des travaux non déclarés
Et puis tu voudrais des papiers
T’es qu’un travailleur clandestin
Et t’avoueras que c’est pas sain
Maintenant tu dis qu’t’es exploité
Mais mon pauvre gars tu l’as cherché
Et puis regarde où tu vis
T’es dans un squat un vrai taudis
C’es une honte ça tu l’as dit
Alors ça plus durer
C’est pour ça qu’on t’a expulsé
C’est pour ton bien
On n’est pas chien
Nous c’qu’on veut
C’est te protéger
La France c’est un beau pays
Mais y’a des limites tu comprends
On peut pas tout accepter
Y’a des lois
Faut les respecter
Y’a du chômage
Y’a d’la misère
Alors faut pas en rajouter
Et puis tu viens d’où
Du Mali
Le Mali c’est un beau pays
Y’a du soleil
Pas comme ici
Ton grand père est mort à la guerre
C’était au temps des colonies
Les colonies c’est bien fini
Et puis maintenant ça suffit
Et puisque tu n’as pas compris
Tu vas y rtourner au Mali !






YASMINE

Elle avait toujours pensé que son prénom avait quelque chose à voir avec son intérêt pour la poésie. Yasmine, cela fleurait le printemps, le parfum de la nature, cela avait quelque chose de persan trouvait-elle et c’est pourquoi elle s’était sentie attirée par la poésie de Omar Kayham. Mais cela, c’était bien plus tard, en son adolescence.

A l’école on la trouvait rêveuse. Elle suivait peu, elle suivait mal, elle était ailleurs. On l’avait promenée en vain de psychologues scolaires en heures de soutien et l’on pronostiquait des études difficiles et un avenir incertain. Ce n’est que dans la classe de monsieur Panetier qu’elle s’était épanouie. Elle en garda toujours le souvenir. Ce fut une année fabuleuse, comme un épisode de clarté entre deux longs tunnels sombres. Monsieur Panetier leur lisait tous les jours des poèmes, des contes de fées, et même des passages de l’Odyssée, sans commentaires fastidieux, et ils étaient tous suspendus à ses lèvres, et comme emportés par ses paroles dans un univers coloré, riche et surprenant. Cela ne dura qu’une année scolaire, l’année suivante il fallut préparer l’entrée en sixième et Yasmine retourna dans ses rêves. Yasmine était pour ces professeurs une énigme. Toujours présente, silencieuse, solitaire, elle échappait à toutes les catégories prédéfinies. Au bout d’un trimestre de collège et après quelques tentatives d’interventions assorties de remarques éclairées comme « que veux-tu faire plus tard ? » et « songe à ton avenir » ou encore « mais enfin, tu t’intéresses bien à quelque chose ?» et devant son silence, on finit par la laisser tranquille, ce qu’elle désirait avant tout. Au deuxième trimestre son bulletin scolaire portait comme appréciation : « a bien du mal à suivre ».En présence de ses parents, convoqués par le conseil de classe, l’interrogatoire recommença : « que veux-tu faire plus tard ?...Si tu ne travailles pas, tu n’arriveras à rien, as-tu choisi un métier, as-tu un projet? Et Yasmine se murait dans son silence.

Des projets, elle en avait des milliers, escalader les étoiles, plonger au fond des océans, voyager dans le temps, voler comme un oiseau, être fleur, arbre, ruisseau…Son imagination débordait qu’elle nourrissait de lectures, elle lisait tout ce qui lui tombait sous les yeux, elle passait ses mercredi et ses samedi à la bibliothèque, et ce qu’elle préférait par dessus tout étaient les recueils de poésies ; elle découvrit Verlaine, Desnos, Apollinaire qui furent ses préférés.

En cinquième, les choses se gâtèrent, dès la rentrée le professeur proposa comme sujet de rédaction : « racontez vos vacances ». Yasmine qui avait passé le mois d’août en Bretagne et qui venait de lire Moby Dick raconta une histoire extravagante de chasse au monstre marin ponctuée d’une rencontre impromptue avec le capitaine Nemo, le tout se terminant sur une île déserte, le secours venant enfin d’un dirigeable que le vent avait égaré dans les parages. Le professeur reconnut que Yasmine avait « un brin de plume », de l’imagination, du talent, mais déclara que la copie était entièrement hors sujet, se demandant même s’il ne s’agissait pas d’une provocation. Finalement il décida de lire la copie à la classe, il le fit d’un ton moqueur et Yasmine fut ainsi l’objet des quolibets de ses condisciples .Elle passa une année horrible, massacra ses rédactions et redoubla sa cinquième à cause du français.

Sa réputation était faite, on la considéra dès lors comme une faible d’esprit, on en vint à accepter qu’elle lise ses livres en classe « du moment que ça ne gênait personne », on la laissait tranquille et ça l’arrangeait bien. Lorsque ses camarades descendaient en récréation, elle restait seule en classe en compagnie de Jack London ou de Paul Eluard .De cinquième allégée en quatrième renforcée elle finit par atteindre la classe de troisième aménagée.

Madame Mangin, professeur de français, avait décidé de préparer ses élèves au lycée. Adepte de la pédagogie différenciée elle ne pouvait accepter de délaisser une élève en difficulté. Au contraire, elle s’acharna. Ce fut épouvantable. On étudiait un poème de Verlaine. On le dépeçait plutôt, on le vidait de son sang. On le désossait. Passe encore pour les chants lexicaux, Yasmine acceptait cette recherche, mais c’était sa seule concession, lorsqu’elle entendit parler de modalisateurs verbaux, de marques, d’indices énonciatifs, et d’autres instruments de torture qu elle ne put ni ne voulut retenir, elle se rebiffa contre ce crime de lèse littérature. Au nom de ce qui lui était le plus cher, du souvenir de monsieur Panetier, son instituteur, pour sauvegarder son plaisir ineffable de lire, ses voyages intérieurs, elle refusa de suivre la voie qu’on lui traçait. Mais madame Mangin ne renonçait pas, même si parfois elle se laissait aller à maugréer « mais elle ne comprend donc rien ! » Elle s’évertuait « à vouloir en tirer quelque chose ». Yasmine ne voulait pas, elle s’obstinait à ne pas répondre comme on désirait qu’elle le fît. C’était pour elle une question vitale. « Mais enfin »-disait madame Mangin-« tu ne comprends pas la question posée : « étudiez les procédés d’énonciation dans ce poème. Regarde bien les vers n’y a t il rien de remarquable ?
Rien à faire, Yasmine ne regardait pas les vers, elle les ressentait, elle les vivait, comment aurait-elle pu les décortiquer froidement comme on épluche un fruit et on l’ouvre.
Madame Mangin finalement renonça. « C’est un cas -déclara-t-elle en conseil de classe – je n’ai jamais rencontré ça dans ma carrière. J’y perds mon latin ».Madame Mangin y perdait son latin, ce qui est un comble pour ce professeur agrégé de lettres classiques et qui ne ratait jamais une occasion de faire des citations dans la langue de Virgile.
Madame Mangin ne pouvait soupçonner que depuis plusieurs années déjà Yasmine écrivait, remplissait des cahiers de poèmes, dans l’un de ceux-ci, nommée la Dévoreuse, elle devenait une métaphore de la Mort.

Yasmine fut orientée, et comme elle n’avait pas de projet, on l’inscrivit dans un lycée professionnel pour préparer un BEP de comptabilité. « Il faut bien qu’on la mette quelque part- soupira la directrice du collège lors du conseil de fin d’année- elle n’a pas seize ans ! ».

Yasmine passa deux années au lycée, elle n’obtint pas son BEP. Le jour de ses dix-huit ans, au désespoir de ses parents, elle abandonna ses études et trouva rapidement un emploi de serveuse dans un petit restaurant. C’est là qu’elle rencontra un jour monsieur Panetier, il la reconnut, fut surpris de la trouver là, elle lui raconta son histoire, lui lut ses poèmes. C’est lui qui l’incita à participer à des concours littéraires, il lui fit rencontrer des auteurs, des éditeurs, elle obtint une bourse du Centre National des Lettres et fit enfin son entrée dans la littérature.

« Je l’ai toujours su, ça ne m’étonne pas, j’en était sûr, je ne me trompe pas sur ce genre de chose ! » déclara madame Mangin lorsqu’elle reçut les deux premiers recueils que Yasmine lui avait envoyés.

Acompte d'auteur

Un petit aperçu d'une oeuvrette en cours d'élaboration intermittente.
Les textes destinés à être dits ou joués sont la propriété de l'auteur qui se réserve le droit d'accorder l'autorisation de leur utilisation.



l'auteur: Claude Weill
âge certain et cependant incertain
enseignant (en saignant) hors d'usage et libre, du moins dans les limites autorisées par l'usage, les convenances et la loi
s'active dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production:
LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011
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