Paris
Auteur de textes à lire et dire et jouer,intervient dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production: LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011. Réalisations récentes: Nasr eddin Hodja avec Salah Teskouk, mise en scène de Gabriel Debray (Le local 2006) Ô Belleville par l'atelier de théâtre contemporain du Local (juin 2007- mise en scène de Gabriel Debray) Tout ça n'empêche pas Nicolas, par les mêmes, juin 2008 les tribulations d'Orphée juin , octobre 2009 ------------------------------------- Pour contacter: cliquer sur le lien "afficher le profil complet"

lundi 22 octobre 2007

Haïkus







Il suffirait de pousser la porte
S’abandonner à la tiédeur
Mais comment oublier la morsure du gel




Sur les rochers
Les mouettes sommeillent
La tête dans le soleil




Vent et brume
Gerbes d’écume
La mer en colère




Grincement de chaise
Crissement de plumes
La grise adolescence s’use



Les essieux du wagon
Gémissent et pleurent
Nul ne s’en soucie






Les Parisiens
Sont chagrin
Même leurs chiens




Non
Les nuages ne sont pas des moutons
Mais de sales flocons
De coton




Orage
La route droite et mouillée
Scintille sous le soleil





Parfum de boue chaude
Parfum d’été
Je voudrais embrasser la terre




A Nantes
Non seulement il pleut
Mais il vente




A la gare
Personne au départ
Par hasard




Manger les étoiles
Sucer la moelle du temps
Boire l’azur




Ciel trop bleu
Chaleur suffocante
Désir de nuages




Vent d’été
Grappes de fruits rouges
Les croquer




Chairs des cerises
Herbes coupées
Parfums d’été





Rue Jacques Prévert
Entre les façades grises
Pleurent des arbres pelés



La pétarade des pelleteuses
Brise
Le flamboiement du soleil



lundi 1 octobre 2007

Nuit d'août à S...

Ah ! La mer était belle, moutonnée, irisée, et les rouleaux déferlaient en rugissant ; les rayons de soleil qui perçaient entre les cumulus donnaient au tableau une splendeur irréelle et c’est en clignant des yeux que je me jetai à l’eau sans réfléchir, fasciné, captivé, comme happé par une toile de Matta ou Dali. Je fus immédiatement roulé, broyé et déposé sur le sable. Quand je tentai de me relever une douleur vive traversa ma jambe droite.
C’est ainsi que je me retrouvai un samedi soir à huit heures, ma compagne à mes côtés, allongé sur une civière et ballotté dans une ambulance à la suspension cacochyme roulant en direction du service d’urgence de l’hôpital de S….

Case n°1
Je suis sur la case Départ…

« Z’avez votre carte verte ? Z’avez une mutuelle ? » . J’étais admis. Sur une civière mitoyenne, dans le sas d’admission, était étendu un individu au crâne sanguinolent qui demandait « qu’on l’éponge », mais on était là pour les papiers, chaque chose en son temps. L’ordinateur central ayant digéré les données on nous sépara, le crâne sanglant n’est pas encore en règle, mon épouse est dirigée fermement vers la salle d’attente. Je suis déposé sans un mot dans un couloir auprès d’une porte sur laquelle une pancarte indique « salle de choquage -ou chocage ? …je ne me souviens plus… bien que j’y stagnai trois quarts d’heure sans que personne ne m’adresse la parole. Ma jambe me fait souffrir, mais, lecteur de Charlie hebdo et des chroniques de Patrick Pelloux, je n’ose ameuter les travailleurs médicaux aux prises avec la grande misère du service public, je prends donc, au sens propre de l’expression, mon mal en patience, je serai un patient exemplaire…

Case n°2
La partie commence très lentement …le chemin est semé d’obstacles…
Un costaud en blouse blanche vient me pousser et m’entreposer dans un « box » :
- je vous mets là, un médecin viendra vous examiner
- quand ?
- je ne peux pas vous dire

Et la porte est fermée.
Un lavabo, une paillasse et un énorme sac peu ragoûtant de « déchets mous »à proximité de l’engin métallique sur lequel je suis étendu. Dans la partie supérieure de la porte une ouverture vitrée me permet, pendant l’heure que je passe seul en ces lieux, de voir de temps en temps des visages fermés apparaître fugitivement. Je leur lance des regards interrogateurs mais ils n’y prêtent pas attention, ls viennent seulement, apprécier si je présente des signes de vie. J’ai mal, j’ai soif, la chaleur est intense, je voudrais bien ôter ma veste en laine et en plus j’ai envie de pisser, mais je suis incapable de me lever.

Une bonne heure passe ainsi.

J’attends.




Case n° 3
J’ai tiré une carte : Chance…Malheur à moi, c’est la fée Carabosse…
Enfin la porte s’ouvre et entre une femme d’une cinquantaine d’années en blouse blanche sur laquelle figure l’inscription « SMUR S… », un médecin je pense. Elle a l’air de méchante humeur, elle est brutale. Pas de présentation, on entre tout de suite dans le vif du sujet :

-Qu’est ce qui vous arrive ?
- Vous faites du sport ?
-Vous suivez un traitement ?
-Vous avez mal là ?

-Oui j’ai mal (Aux secours ! Elle n’y va pas de main morte…)

-Radio ! C’est peut-être un tendon, je ne comprends pas, vous ne devriez pas avoir mal là !

Case n°4
Le jeu ralentit…Le sort m’est défavorable…
Elle sort, après avoir griffonné hâtivement sur un papier déposé dans une grande enveloppe à mes pieds ; je ne peux l’atteindre. J’aurais voulu la questionner mais à l’évidence ce serait superflu, elle a visiblement des tâches plus urgentes à accomplir. L’examen a duré deux minutes. Fermeture du box.

J’attends.

Case n°5
Espoir…et déception……
On vient me chercher, on me pousse, on déambule dans des couloirs aveugles sans fin jusqu’au service radio. Je dis on, car poussé par derrière je ne peux voir le visage de mon conducteur ni d’ailleurs entendre le son de sa voix. Je suis déposé à nouveau, maintenant j’ai froid.

J’attends.
J’ai toujours mal et envie de pisser…

Case n°6
Une nouvelle chance ?…
Service radio. Sourires aimables de l’aide–soignante, c’est une bonne fée, du radiologue, c’est un enchanteur, le sort me serait-il enfin favorable ?
J’interroge : « le médecin interprètera, il vous dira »…les radios sont déposées à mes pieds, je ne peux les atteindre. .

Retour à la case départ… nouvelle déception… la chance s’éloigne…j’ai dû tirer une mauvaise carte…
A nouveau poussé et déposé dans le couloir j’attends le retour de mon médecin. Sans un mot ni un regard vers moi elle arrive, prend les radios les dispose sur l’écran situé sur le mur en face …et disparaît.



Case n°….Prison ?
J’attends, j’attends une bonne heure.

J’interroge un infirmier qui passe : où est mon médecin ? Il ne sait pas, ne peut pas me répondre, je dois patienter, elle va revenir… « Elle a regardé vos radios ? Non je ne sais pas pourquoi elle est partie… Oui c’est étrange, elle va revenir… Vous devez attendre c’est tout ce que je peux vous dire… »

C’est mal barré, j’ai encore tiré la mauvaise carte, la partie s’annonce délicate
Je patiente, j’imagine qu’on l’a appelée pour une urgence, un accident de la route peut-être, je vais bien me conduire, je ne vais pas râler et pourtant j’ai mal. Pourquoi ne m’ont-ils rien donné pour calmer la douleur ?
Un autre médecin passe : « C’est vos radios là ? Je vais les regarder… ». Il les emporte…

J’attends.


Case suivante
Je suis bloqué…
Enfin elle revient : « Après neuf heures de garde les médecins sont des gens comme les autres, ils ont bien le droit de prendre une heure pour manger ! » Enfin un sourire, elle est humaine, j’en conviens… mais je n’en pense pas moins : pourquoi la faim l’a-t-elle saisie au milieu de la lecture de ma radio ?

-Où sont vos radios ?
-C’est…un monsieur qui les a prises…

Elle repart.
J’attends.

Case suivante
L’issue est proche…
Elle revient :
- Alors qu’est-ce que j’ai ?»
- Rien de cassé, les ligaments peut-être, de toutes façons, on ne peut rien faire de plus, on ne peut pas le voir à la radio, faudra voir par la suite, ça peut être une tendinite, je ne crois pas que ce soit les croisés, mais on ne sait jamais, faudra surveiller, je vous prescrits des anti-algiques ».

Et elle s’en va…

Les croisés… Voilà l’ennemi…Mais c’est quoi cette histoire de croisade ?.


Fin de partie
Ai-je gagné ou perdu ?
Alors là tout va très vite, l’ordonnance m’est donnée, on m’installe dans un fauteuil roulant et en deux minutes je suis conduit vers la sortie, je proteste :
- Mais j’ai de la famille qui m’attend en salle d’attente !
- Je dois vous conduire à la sortie ! »

Je suis, dans la nuit, sur le parvis de l’hôpital, en plein vent, en bermuda, soumis à la pluie fine, recroquevillé dans mon fauteuil roulant, la jambe douloureuse …et la vessie aussi…et c’est là, alors que je réactive mon téléphone portable, que mon fils qui patientait dans la salle d’attente depuis des heures, sorti pour cloper, a la surprise de me retrouver…

Enfin…pisser…

Et si je n’avais pas eu de téléphone portable, et si je n’avais pas eu de famille, et si …aurais-je passé la nuit sur le parvis de l’hôpital de S… ?