Paris
Auteur de textes à lire et dire et jouer,intervient dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production: LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011. Réalisations récentes: Nasr eddin Hodja avec Salah Teskouk, mise en scène de Gabriel Debray (Le local 2006) Ô Belleville par l'atelier de théâtre contemporain du Local (juin 2007- mise en scène de Gabriel Debray) Tout ça n'empêche pas Nicolas, par les mêmes, juin 2008 les tribulations d'Orphée juin , octobre 2009 ------------------------------------- Pour contacter: cliquer sur le lien "afficher le profil complet"

samedi 16 juin 2007

Temps modernes

A l’heure de tous les dangers
quand les nationalismes outranciers
s’affrontent militairement
certains brandissant
la menace nucléaire
chimique ou bactériologique
quand le communautarisme frappe à la porte
quand l’intolérance religieuse
alliée à la bêtise obscurantiste
redresse son mufle
quand le racisme se déchaîne
par les mots et par les actes
quand révisionnisme et antisémitisme
deviennent des opinions
quand des fascistes patentés
ont porte ouverte à la télé
quand le corps humain devient une valeur marchande
quand les valeurs se réduisent au seul argent
quand la loi morale est celle
du chacun pour soi
quand mérite se confond avec
rentabilité et productivité
quand l’économisme
est l’idéologie
et qu’on vous répète
qu’il n’y a plus d’idéologie
que l’histoire se termine au paradis
de la libre-entreprise
quand la solidarité est
un show et un bizness
mais que par ailleurs
le voisin d’étage peut crever
quand la réussite d’un état
se mesure à la croissance
et que deux hommes sur trois crèvent de faim
quand les ressources s’amenuisent
et croissent les profits
quand on loue les droits de l’homme
qui ne sont nulle part respectés
quand une propagande sirupeuse
habilement distillée
endort les consciences
quand tranquillement
l’on vaque à ses petites affaires
qu’on achète et qu’on vend
qu’on rachète et qu’on jette
et que l’important
c’est d’avoir sur le dos
le tissu à la mode
et les chaussures au pied
à la mode de même
et qu’on en voie la marque
que ce soit cher surtout
et qu’on ne soit pas pris
pour le dernier minable
pour avoir confondu
supérette de quartier
avec une marque de montre
quand on a peur surtout
d’être montré du doigt
quand il vous faut
sous peine d’être traité d’idiot
apprécier ou bien feindre
le dernier tube du mois
quitte à le mois suivant
le rejeter dégoûté
car quand on dit culture
il faut penser câblage
ciblage branchement
consommé éphémère
enfin jamais passé histoire
savoir
quand le tirage
mesure l’ouvrage
quand un libraire « de masse »
vous dit »y’a plus de place pour la poésie
nous faut qu’ça tourne
ça encombre les étalages
quand le jargon
remplace la pensée
qu’importe
pourvu que le philosophe
ait une belle chemise
et qu’il passe bien à la télé
et qu’il ait vu le loft
ou qu’il en ait parlé
quand il est de bon ton
de cracher sur Sartre
maintenant qu’il est mort
et que c’est dans le vent

tout cela
et que sais-je encore
tout ce qui va venir
et qu’on sent approcher
l’immonde
l’obscur
le chaos
la mêlée
les Auschwitz de demain
les Pol Pot à venir
les holocaustes multipliés
et tout ce que l’on ne sait nommer
quand l’on vous dit
qu’on n’y peut rien
quand l’on vous dit
qu’on s’occupe de vous
quand vous pensez
que vous n’en n’avez rien à faire
que ce n’est pas votre affaire
que tant pis pour les autres
que vous vous en tirerez
que c’est la faute des autres
des étrangers
des technocrates
des juifs
des arabes
des tsiganes
pas de la vôtre
quand vous êtes convaincus
que ce n’est pas vrai
que celui qui a écrit ça
est un emmerdeur
un menteur
un halluciné
un qui voit les choses en noir
un qui n’a rien d’autre à faire
qui en rajoute
qui en fait trop
un simplificateur
un attardé de soixante-huit
un demeuré
qu’a rien compris
qu’a du temps à perdre
qui use du papier pour rien
et de l’encre
qu’est pas branché
pas câblé
pas cool
quand vous ne dites rien
quand vous ne pensez rien
quand vous vous taisez
quand vous mangez
quand vous dormez
tranquille
quand vous êtes fatigués
et que ça vous fatigue
quand vous n’avez pas le temps
parce qu’il y a la vie
le boulot
les enfants
les ennuis
les courses
le ménage
les transports
et puis qu’en attendant
mieux vaut en profiter
et le ski à noël
ou bien en février
les vacances à organiser
tout cela est si lourd
comme ceux
qui comme vous
à Berlin
à Hambourg
à Munich
le savaient
se taisaient
ou bien
ne pensaient rien
vous êtes déjà coupables
de complicité
active
ou passive
avec la barbarie à venir

Cendrillon 2007

Il y avait une jeune fille très belle et très malheureuse ; elle habitait avec ce que l’on nomme aujourd’hui une famille recomposée : son père, sa belle-mère et leurs trois filles, dans un loft du onzième arrondissement de Paris. La belle-mère était une femme méchante et n’avait d’égards que pour ses trois filles qu’elle adorait , cajolait et protégeait avec excès; Cendrillon- car tel était son nom ou plutôt le surnom qu’on lui donnait- son vrai nom je l’ignore encore- Cendrillon était maltraitée. Pendant que ses trois soeurs jouaient avec leurs consoles Nitendo, partaient faire des emplettes dans les magasins de prêt à porter ou sortaient en boîte, Cendrillon devait s’occuper des tâches ménagères, préparer les repas, faire les courses, passer l’aspirateur, laver et repasser, et ce n’était jamais suffisant, et ses sœurs impitoyables et capricieuses n’étaient jamais satisfaites. Cendrillon ne disait rien, depuis longtemps elle avait compris que protester était inutile, tant ses sœurs étaient stupides et arrogantes, tant sa belle-mère était malfaisante, tant son père, véritable pilier de bistrot, était absent. Sa journée de travail terminée elle s’asseyait auprès du feu de cheminée, un livre dans les mains et tout en tisonnant les cendres elle s’évadait par la lecture, sa seule consolation. – c’est pour cela que ses sœurs, quasi analphabètes, incapables de lire trois lignes d’affilée, la surnommaient Cendrillon.

Un jour, ses sœurs qui passaient toutes leurs soirées dans les boîtes branchées et les bars à la mode du quartier Oberkampf et qui en fréquentaient assidûment les noctambules habitués, furent invitées à une soirée privée organisée au « Nouveau Casino » par un grand Prince de la mode, jet-setteur renommé et objet de l’assiduité des magazines « people » Les trois sœurs se préparèrent longuement, des jours durant, choisissant leurs toilettes dans les magasins à la mode, passant des heures dans les salons d’esthétiques, de coiffure, de maquillage, de bronzage et d’ongles américains, et Cendrillon était obligée de les aider dans leurs essayages et de les seconder dans leurs apprêts. Méprisantes et cyniques ses sœurs la provoquaient :

- Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous Cendrillon?

-Vous savez bien que je ne suis pas invitée, et puis je n’ai rien à me mettre ! Répondait-elle

- Et puis tu serais vraiment trop « relou » ! ricanaient les sœurs !

Et cendrillon sentait bien qu’il était inutile de poursuivre la conversation.
+++

Le jour enfin arriva de la fameuse soirée. Lorsque ses sœurs accompagnées de leur mère furent parties, Cendrillon restée seule, submergée par le chagrin, éclata en sanglots, songeant à son sort funeste; pour se consoler elle prit un livre qu’elle adorait, et s’apprêtait à le lire - c’était des contes de Perrault- quand la Bonne Fée apparut. Cendrillon ne fut pas plus étonnée que cela, la bonne fée était une habitante de ses rêves, une héroïne familière de ses lectures, une amie intime et son seul espoir.
La Bonne Fée s’assit auprès d’elle et tisonna les cendres :

- tu voudrais sans doute, Cendrillon, aller à la soirée du Prince de la mode ?

-oh ! Oui, ma fée ! répondit cendrillon.

-ne t’inquiète pas dit la fée, je sais ce qu’il te faut, je vais te relooker car je suis une fée spécialisée dans le coaching, pour cela, il me faudrait une citrouille.

La demande de la fée paraissait étrange, mais Cendrillon qui avait lu les contes de Perrault et connaissait les mœurs des fées obéit sans hésiter. Il y avait heureusement une citrouille dans le congélateur ; bien que surgelée elle fit l’affaire.

Maintenant, dit la fée il me faudrait un gros rat. Trouver un gros rat dans le onzième arrondissement à dix heures du soir est chose possible étant donné l’abondance des bars et des restaurants, et donc des détritus dans les poubelles, mais de là à l’attraper, ce n’est pas évident, aussi Cendrillon préféra faire une commande par Internet sur « animal point com « et dans la demie heure le gros rat fut livré.
Alors en un coup de la baguette magique la citrouille fut changée en une superbe automobile BMW et le gros rat en chauffeur de maître en uniforme et casquette à galon doré.

-Et voila, dit la fée, tu n’as plus qu’à te rendre à la soirée !

-Mais, dit Cendrillon, je ne peux pas y aller, habillée comme je suis, en baskets et jogging.

D’un coup de baguette magique, Cendrillon fut transformée, métamorphosée des pieds à la tête : elle était naturellement jolie mais là, elle fut somptueuse, par sa coiffure, ses bijoux cartier, sa robe Chanel et surtout par ses chaussures, de magnifiques escarpins de vair et nom de verre comme certains, mal informés l’ont affirmé par la suite.

Et maintenant dit la fée, dépêche toi et profite bien de ta soirée, mais surtout efforce toi de revenir avant minuit, car à minuit le charme cessera d’agir, la voiture redeviendra citrouille, le chauffeur redeviendra rat et tes vêtements redeviendront ce qu’ils étaient auparavant et en plus il te faudrait prendre le métro ; ma magie est efficace mais fragile et la réalité puissante reprend vite le dessus.

+++

En un instant la voiture arriva près du lieu où la fête de tenait. A peine fut elle descendue de sa voiture que tous n’eurent d’yeux que pour elle tant elle resplendissait ; les danseurs s’arrêtèrent de danser, les buveurs cessèrent de boire, les discoureurs se turent, et les « didjis »délaissèrent leurs platines. En silence, subjugué, fasciné, ébloui le Prince de la mode s’approcha, prit Cendrillon par la main puis la fête reprit. Etourdie par la rapidité des évènements et peut-être aussi par le rythme effréné de la musique techno, Cendrillon se laissa entraîner dans la danse. Elle vivait un conte de fées. Elle aperçut un instant ses trois sœurs qui ne la reconnurent pas et qui immobiles, bouches bées et sans doute quelque peu assommées par des substances illicites contemplaient cette miraculeuse inconnue.
Un quart d’heure avant minuit, profitant d’un temps de repos des musiciens entre deux danses, Cendrillon s’échappa ; en un instant elle se retrouva au coin de sa cheminée, dans son état coutumier où la bonne fée l’attendait.
Au Nouveau Casino, comme frappée d’inutilité, la fête s’arrêta.

+++

Cendrillon raconta sa soirée à la fée et lui apprit que le Prince de la mode l’avait invité la semaine prochaine ; la fée lui conseilla de remettre une citrouille dans le congélateur et dé prévoir un nouveau rat, puis elle disparut car on sonnait à la porte. C’était les trois sœurs et leur mère qui revenaient du bal. Cendrillon leur demanda si la soirée s’était bien passée et elles lui dirent qu’elles avaient vu une star mais elles ne savaient qui c’était : elles s’empressèrent de consulter leur collection de Voici et de Voilà et de Gali et de Gala pour l’identifier, mais en vain. Elles conclurent qu’elles essayeraient d’en savoir plus le samedi prochain et Cendrillon leur demanda si elle pourrait les accompagner ; cette requête provoqua leur rire et leurs moqueries.

Le Prince de la mode vécut cette semaine dans une grande impatience aussi le samedi soir attendit-il fébrilement la venue de l’inconnue. Elle arriva enfin plus splendidement parée que la première fois et la fête fut telle que Cendrillon en oublia le temps qui inexorablement passait, aussi quand sonna le premier coup de minuit fut-elle toute surprise et dut-elle brutalement s’enfuir ; dans sa course elle perdit un de ses escarpins de vair que la prince ramassa…Intrigué par ce départ précipité il interrogea les gens dans la rue mais ils n’avaient rien vu, peut être une punkette qui portait une citrouille sur laquelle était juché un gros rat , rien de remarquable en tout cas dans ce quartier habitué aux excentricités.

Désespéré, dans son show-room de la rue Réaumur le Prince de la mode, serrant sur son cœur le petit escarpin de vair, réfléchissait aux moyens de retrouver la belle inconnue dont il était épris, rien d’autre ne l’intéressait , pas même la préparation de ses collections de printemps-été. Il fit paraître des messages quotidiens dans la rubrique de petites annonces de Libé, il fit de même sur son blog , et profita d’une interview sur Radio Nova pour lancer un appel en direct, mais n’obtint pas de réponse ; Cendrillon, occupée par ses tâches ménagères ignorait ses efforts. Le prince de la mode s’abandonna à la morosité, il passait des heures immobiles à contempler le petit escarpin et rien ne pouvait l’arracher à ses pensées noires. Bientôt ses affaires périclitèrent, le cours de ses actions baissa dangereusement, puis sa griffe fut rachetée par une firme multinationale luxembourgeoise ; abandonné de tous, tout entier à ses son obsession , il ne s’en souciait guère. Enfin, dans une tentative désespérée il fit placarder dans tout Paris une annonce : il épouserait la jeune fille à qui le petit escarpin irait comme un gant.

+++

Attirées par l’appât de la supposée fortune et de la vie mondaine du Prince de la mode toutes les bimbos parisiennes se présentèrent rue Réaumur dans le show-room maintenant bien déserté pour essayer de chausser l’escarpin, en vain : le pied était toujours trop petit ou trop grand. Même les sœurs de Cendrillon firent l’essai, mais leurs pieds furent bien trop grands. Elles en parlèrent à Cendrillon qui, à la description reconnut son escarpin et décida de faire une tentative. Ses sœurs ricanèrent et décidèrent de l’accompagner, bien décidées à profiter d’une humiliation publique qui les vengerait de celles qu’elles avaient elle même ressenties lors de leurs propres essais.
Lorsque Cendrillon s’agenouilla devant le Prince de la mode pour essayer la chaussure, celle-ci s’adapta à son pied comme un gant. Lorsqu’elle se releva, c’était le Prince qui était à genoux, il l’avait reconnue. Les trois soeurs de Cendrillon étaient stupéfaites, avant qu’elles ne reviennent à elles, le show-room était vide. Cendrillon et celui qui déjà n’était plus que l’ex- Prince de la mode, avaient hélé un taxi et s’étaient dirigé paraît-il vers une grande gare parisienne. Depuis on a à peu près perdu leurs traces bien que certains prétendent que le couple gère tranquillement une boutique de produits bio et solidaires quelque part dans le Lubéron.

Nuit de décémbre

La nuit était déjà tombée depuis longtemps. Il soufflait un petit vent froid qu’accompagnait une pluie fine et pénétrante. C’était une nuit de décembre sans neige. Sur les trottoirs gelés les derniers passants tentaient de se hâter, à petits pas pressés, d’une démarche hésitante. La rue ne les retenait pas présentant peu d’attraits. Les immeubles modestes et peu élevés n’abritaient ni vitrine ni bar accueillant. Le vingtième arrondissement est un gros village, il suffit de s’écarter du centre commerçant pour se retrouver en province.

Trois petits enfants noirs avaient trouvé refuge dans l’encadrement d’une ancienne porte cochère : deux très petits garçons et une fillette d’une dizaine d’années, visiblement leur sœur aînée, âgée d’une dizaine d’années au plus. Chaque garçon lui donnait une main et tous trois scrutaient le ciel en l’espoir d’une improbable accalmie.

Que faisaient-ils dehors à cette heure ?

Des gens passaient sans les voir ou les voyaient et passaient. Trois petits enfants noirs seuls dans la rue, le spectacle est commun dans cet arrondissement, mais en hiver, à onze heures du soir et sous la pluie…

Bientôt les fenêtres s’éteignaient les unes après les autres, on fermait la télé, on allait se coucher. On n’entendait que les bruits, de plus espacés, des rares voitures qui semblaient glisser dans la nuit, les faisceaux de leurs phare éclairant fugitivement les silhouettes maintenant tassées, gelées, recroquevillées sous le porche, noires dans la nuit noire.

Il n’y eut aucun miracle, bien que nous fussions à quelques jours de noël. Il n’y eut rien de notable non plus qui eût pu nourrir la rubrique des faits divers dans les journaux télévisés.

A minuit quinze leur mère arriva, qui faisait des ménages dans des immeubles de bureaux. La fillette avait oublié de prendre les clefs en partant à l’école. Les trois enfants et leur mère s’engouffrèrent promptement dans l’entrée d’un atelier désaffecté, et nous n’en saurons pas plus.