Version non homologuée
Il était une fois une jeune fille, la plus aimable, la plus douce qu’on eût pu imaginer. Fraîche comme une rose et sensible comme l’amour, elle était tourmentée de dix-huit ans. Toujours vêtue de rouge, manteau rouge, bottes rouges, écharpe rouge, bonnet rouge, on l’appelait Le Petit Chaperon Rouge. Elle habitait avec sa mère, rue du docteur Bettelheim, dans un quartier tranquille du vingtième arrondissement qu’on nommait « la Campagne à Paris ».
Un jour sa mère lui dit : « Petit Chaperon Rouge , ta grand-mère est malade, va lui porter de ma part une galette, un petit pot de beurre et le catalogue de La Redoute. Mais surtout ne t’arrête pas en chemin, prends le bus 96. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur, le Loup rôde rue de Ménilmontant. Il s’attaque aux fillettes qui s’arrêtent en chemin et n’écoutent pas leurs parents. Quant à moi, je suis déjà en retard, j’ai rendez-vous chez mon psy et cela n’attend pas ».
Le Petit Chaperon Rouge écoutait sa maman et pensait : « je n’ai pas peur du loup, ce sont des histoires pour effrayer les enfants, et je ne suis plus une enfant ». Et, son sac rouge sur le dos, chargée de sa galette, du petit pot de beurre et du catalogue de La Redoute, elle partit. Au lieu de prendre le bus 96 Place Gambetta, elle flâna le long des rues. Elle s’arrêtait devant les vitrines, songeant qu’elle profiterait bien de ses économies pour s’acheter les dernières chaussures Nike à semelles compensées dont elle avait une folle envie, des chaussures rouges cela va de soi.
Après qu’elle eût emprunté le passage de La Duée, si étroit que deux personnes ne peuvent s’y croiser, le soleil l’éblouit au haut de Ménilmontant. Le ciel était d’un bleu limpide et l’on apercevait au loin les collines de l’Autre Monde. Une silhouette se découpait en plein soleil, noire sur le fond bleu : le Loup ; il attendait et ses yeux flamboyaient dans la pénombre. Le Loup était le caïd de la bande du 140, rue de Ménilmontant. Sa sombre renommée atterrait le quartier. Revendeur notoire de produits illicites, il guettait sa clientèle. C’était un grand gaillard, sa beauté, la vivacité de ses yeux, sa souplesse, sa force et son poil luisant intéressaient le Petit Chaperon Rouge ; depuis le temps lointain de la Maternelle de la rue Julien Lacroix elle avait des faiblesses pour lui et Le Loup secrètement le lui rendait bien. Mais ils ne s’étaient jamais vraiment parlé bien que cette pensée ne les quittât pas.
- « Eh, mais c’est le petit repeucha geurou ! »
- « Salut le loup, je suis pressée et ma mère m’a interdit de m’arrêter en chemin ! »
- « Ta reum, j’souffle dessus et elle s’envolera plus haut que les petits cochons ! »
- « Ma mère m’a interdit de parler au loup. »
- « C’pas toi qui parle, c’est moi qui t’causes, où tu vas Petit Chaperon Rouge ? »
- « Je vais chez ma grand-mère qui est malade, lui porter une galette, un petit pot de beurre et le catalogue de La Redoute. »
- « Ta grand-mère, elle habite bien sur le boulevard en face de la Mosquée ? »
- « Oui, boulevard de Belleville au numéro 25.»
- « Petit Chaperon Rouge, je peux faire le chemin avec toi ! »
- « J’ai des courses à faire et il faut que j’aille voir ma grand-mère, si tu veux on se retrouve après au mac-do !»
Et, tandis que Le Petit Chaperon Rouge entrait dans un hypermarché, le loup prit le bus 96 en direction du boulevard.
Arrivé au numéro 25, il déclencha l’interphone.
- « Qui est là? » demanda la grand-mère.
-« C’est Le Petit Chaperon Rouge qui vous apporte une galette, un petit pot de beurre et le catalogue de La Redoute » dit Le Loup en contrefaisant sa voix.
- « N’oublie pas de faire le code », dit la Grand-mère, « au deuxième tu n’auras qu’à pousser la porte. »
Le Loup ne connaissait pas le code, mais il possédait, on ne sait pourquoi, une clef de La Poste, et cette clef était fée, elle ouvrait toutes les portes.
Il s’engouffra dans l’ascenseur, déjà il était sur le palier, il poussa la porte, entra chez la Grand-mère et se jeta dessus.
Le Petit Chaperon Rouge avait fini ses courses. Elle n’avait pas trouvé les Nike qu‘elle cherchait mais avait acheté un superbe foulard rouge, imitation Hermès, made in China.
Plus tard elle arriva au numéro 25, boulevard de Belleville. Elle déclencha l’interphone.
- « Qui est là ?» demanda Le Loup, contrefaisant sa voix.
- « C’est votre petite fille, Le Petit Chaperon Rouge qui vous apporte une galette, un petit pot de beurre et le catalogue de La Redoute. »
- « N’oublie pas de faire le code, au deuxième tu n’auras qu’à pousser, la porte est ouverte. »
Le Petit Chaperon Rouge trouva bien que sa Grand-mère avait une drôle de voix, mais avec son rhume… »
Elle entra.
- « Approche, Petit Chaperon Rouge, malheureusement je ne peux me lever. Viens me rejoindre dans mon lit » dit Le Loup qui avait revêtu la robe de nuit de la Grand-mère et son bonnet. Et Le Petit Chaperon Rouge vint rejoindre Le Loup dans le lit.
Vous connaissez la suite…
« Oh ! Grand-mère, que vous avez de grands yeux ! »
« C’est pour mieux te voir mon enfant. »
« Oh ! Grand-mère, que vous avez de grandes oreilles ! »
« C’est pour mieux t’entendre mon enfant ! »
« Oh ! Grand-mère que vous avez un grand nez ! »
« C’est pour mieux te sentir mon enfant ! »
« Oh ! Grand-mère que vous avez… »
Ici, la décence et la déontologie professionnelle m’interdisent de reproduire l’intégralité du dialogue.
Et Le Petit Chaperon Rouge, qui depuis quelques instants déjà savait à quoi s’en tenir (si j’ose dire), Le Petit Chaperon Rouge donc, se jeta sur Le Loup…et ils vécurent heureux et eurent beaucoup de petits loups-garous.
Et la Grand-mère me direz-vous ?
LE PARISIEN LIBERE 23 janvier 2003
LA VIELLE DAME INDIGNE. (Les journalistes manquent d’imagination.)
Comment l’ancienne mercière de la rue Des Solitaires, retraitée depuis une vingtaine d’années, honorablement connue dans son quartier, et qui avait mené jusque là une existence apparemment paisible, a-t-elle pu devenir le chef incontesté d’une bande de voyous trafiquants en tous genres ?
C’est ce que le Tribunal Correctionnel n’a pu expliquer lors de son audience du 22 janvier. L’octogénaire, par égards pour son grand âge, a été condamnée à une peine légère, trois mois de prison avec sursis, et remise en liberté sous surveillance judiciaire.
MORALITE
Y’a plus d’morale
Tout fout le camp
Les Chaperons Rouges
Séduisent les loups
Les Grand-mères
Se dévergondent
Dans quel monde
Vivons nous ?