Paris
Auteur de textes à lire et dire et jouer,intervient dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production: LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011. Réalisations récentes: Nasr eddin Hodja avec Salah Teskouk, mise en scène de Gabriel Debray (Le local 2006) Ô Belleville par l'atelier de théâtre contemporain du Local (juin 2007- mise en scène de Gabriel Debray) Tout ça n'empêche pas Nicolas, par les mêmes, juin 2008 les tribulations d'Orphée juin , octobre 2009 ------------------------------------- Pour contacter: cliquer sur le lien "afficher le profil complet"

lundi 9 avril 2007

Voltaire et les dessins danois

Monsieur de Voltaire
On me dit, madame, qu’il se fait de forts grands bruits à Paris, à propos de dessins parus dans une gazette, une gazette danoise ? En savez-vous quelque chose ma chère nièce ?

Madame Denis
Ma foi monsieur je n’en sais rien que ce que j’en ai oui dire, il paraît que ce sont de fort mauvais dessins et fort grossiers … Mais je ne les ai pas vus !

Voltaire
Qu’importe, la chose m’intéresse, de savoir que tous sont en émoi, évêques et cardinaux, muphtis, prêtres de toutes sortes et rabbins, cette étrange coalition ne cesse de m’intriguer et j’y pressens quelque chose délectable.



Madame Denis
Je vais tenter de vous procurer ces dessins mon ami, mais ne croyez-vous pas qu’il y a quelque danger à les tenir.

Voltaire
Allons ma nièce nous n’allons pas trembler devant cette sainte cabale, je crains fort la douleur du corps mais j’ai encore en plus grande abomination et ne saurais souffrir nulle complaisance pour les maux causés à l’esprit, or je pressens là quelque affaire de cette sorte.

Madame Denis
Et bien monsieur je vous aurais prévenu au moins, vous aurez donc ces dessins.

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Madame Denis
Et bien, ne vous l’avais-je pas dit, ils sont bien mauvais !

Voltaire
Ils sont mauvais en effet, et ne m’ont pas fait rire, cependant je les défendrai !

Madame Denis
Et pourquoi donc je vous prie ?

Voltaire
C’est très simple ma nièce, voilà une petite gazette danoise dont jusque là j’ignorais l’existence et dont j’ignore encore les intentions, et des dessinateurs médiocres inconnus du monde… et face à eux la colère et l’autorité de tous ces puissants qui abusent de la crédulité des peuples et sont cause de tant d’abominations et de massacres horribles dont l’histoire se fait l’écho. Et l’on me dit que ces dessinateurs lointains ne sont pas tolérants. Cela m’a fait rire ma nièce, sont ils tolérants les massacreurs de la Saint-Barthélemy, les janissaires du Grand Seigneur qui empalent les mécréants, ceux la même qui aujourd’hui s’offusquent ? D’un côté la plume, de l’autre les cimeterres, les bûchers, les innocents sacrifiés au nom de la vraie foi.
Je préfère la plume fut elle malhabile, maladroite, je ne nie pas sa puissance, je la connais trop et en use, mais on répond à la plume par la plume et non par le feu, le sang et les bruits de guerre, non par le juge ni par le cachot.
Ces dessins sont mauvais certes, et bien qu’on en fasse d’autres et qu’on n’en parle plus ! Il n’y pas là de quoi fouetter un chat ! A propos on m’a dit qu’il y a grande famine au Soudan, qu’il se fait une méchante guerre au Népal et il m’est parvenu le récit de bien d’autres désastres et calamités atteignant notre vieille planète, je vois là d’autres sujets propres à émouvoir l’opinion et dont j’eusse souhaité que l’on en parlât avec autant de fracas.
Mais je m’échauffe mon amie et ce n’est pas bon pour ma pauvre santé, passons à table !


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Madame Denis
Et bien, mon oncle, allez vous me dire ce que vous ferez enfin ?

Voltaire
A quel propos ma nièce ?

Madame Denis
De la gazette Danoise, tout le monde ne parle que de cela

Voltaire
Le monde, comme vous dites à bien du temps à perdre, et bien je ferai donc comme le monde, mais je ne parlerai point, je ne dessinerai point non plus, je n’ai pas ces talents, j’écrirai donc, c’est ce que je sais faire. Contre le fanatisme, je ne saurais me lasser d’écrire ; c’est une chose qui me tient suffisamment à cœur, un constant sujet d’inquiétude et qui ne saurait souffrir aucune tiédeur. J’ai pu apprendre à mes dépens et en de nombreuses occasions combien cela peut coûter, mais dussé-je y laisser mes dernières forces je bataillerai contre les impostures, je lancerai des flèches contre la superstition, ces maux qui insultent la raison et sont cause de tant de persécutions, de massacres et de calamités. Allons on croit être au quatorzième siècle ! Il faut être bien ignorant pour penser ainsi que tous les siècles se ressemblent et qu’on puisse insulter la raison comme on faisait autrefois ! Il faut enfin détester les hypocrites et les persécuteurs, les rendre odieux et en purger la terre !

Madame Denis
Je vous entends mon ami, mais n’est-ce pas là une tâche immense et dans votre état…

Voltaire
Laissez là mon état, je voudrais maintenant rassembler mes forces pour être le pendant de Saint-Michel, terrassant les erreurs et le fanatisme. Allons vous le savez, tout ce qui regarde le genre humain doit nous regarder, parce que nous sommes du genre humain, et puis n’est-ce pas aussi une façon de distraire le vieil ermite qui voit avec effroi les jours s’assombrir et l’hiver approcher.

Madame Denis
Le vieil ermite a des distractions confondantes.

Voltaire
Il est vrai madame que j’ai des de distractions étranges, mais n’est pas gai qui veut, et ce monde en général ne réjouit guère les esprits bien faits. J’ai en horreur les assassins du chevalier de La Barre, j’ai toujours manifesté hautement mes sentiments, je ne me suis démenti de rien et je ne me démentirai certainement pas maintenant .Pour dire mon épouvante, je ne déchirerai pas mes vêtements car il faut être économe, je n’arracherai pas mes cheveux par ce que je n’en ai point, mais bien que mon âge et mes maux me tiennent bien souvent hors d’état d’écrire, je ferai cet effort… faites moi donner une plume et du papier.

Madame Denis.
Oh ! Pour le coup, je sens bien qu’il va falloir se résoudre à votre fantaisie !

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Voltaire
En vérité ma nièce, je devrais ne me nourrir que de courants d’air, mon estomac me fait cruellement souffrir , il me faudrait faire diète et certainement augmenter ma prise de casse par un peu de rhubarbe, la rhubarbe est souveraine pour soigner ces maux.

Madame Denis
Faut-il faire venir monsieur Tronchin ?

Voltaire
Allons, laissez Tronchin tranquille, il a fort à faire par ce temps d’hiver ; d’ailleurs je crois que la source de mes indispositions se trouve ailleurs. Il m’est venu de bien mauvaises nouvelles de Paris. Décidément je détesterai toujours ces pédants insolents et ces assassins en robe.

Madame Denis
Ah ! Ça vous déraisonnez, mais de qui parlez vous ?

Voltaire
De ces cagots, ces tartuffes, ces barbouilleurs, ces beaux parleurs, ces charlatans en morale, en philosophie, en politique, décidément je suis bien aise de ne plus fréquenter les tripots de Paris. Il faut encore crier, crier bien fort, alerter les honnêtes gens contre les fripons. Allons, si on n’avait pas eu de courage, jamais Mahomet n’aurait été représenté. Il faut crier, oui madame, réveiller tous ceux, occupés de leurs soupers et de leur musique, qui iraient gaiement à l’opéra et à leurs petites maisons sur les cadavres de ceux qu’on égorgea les jours de la Saint Barthélemy.

Madame Denis
Que voulez-vous faire encore ?

Voltaire
Eh ! Que sais-je faire ?

Madame Denis
Encore écrire ?

Voltaire
Ma foi, je crois bien que l’auteur inconnu des droits des hommes et des usurpations des autres va encore se manifester à Genève.

Madame Denis
Allons, qui pensez-vous tromper, tout le monde en connaît l’auteur !

Voltaire
Vraiment, moi, je ne le connais pas !

Madame Denis
Et que dira-t-il ?

Voltaire
Il est indigné, indigné qu’un ambassadeur des puissances européennes s’en aille parcourir les cours d’orient pour prodiguer des excuses auprès de tyrans dont les geôles sont pleines, qui oppriment leurs populations et qui osent s’indigner de quelques malheureuses miniatures qui offensent le prophète dont ils ne se soucient guère plus que de leurs premières chemises, qui affectent une religion qui ne les préoccupe que dans la mesure où elle prône une résignation qui les sert. Il est indigné de recevoir des leçons de tolérance de ceux qui ont assassiné le brave et malheureux comte Lally, qui ont eu la lâcheté de le conduire à la grève dans un tombereau d’ordures avec un bâillon à la bouche, ceux qui ont souillé de leurs mains le sang d’un enfant de dix-sept ans , qui lui ont fait couper le poing, arracher la langue, qui l’ont condamné à la question ordinaire et extraordinaire, qui l’ont brûlé à petit feu pour avoir passé dans la rue sans avoir salué une procession de capucins. Il est indigné des plaintes de ceux qui maintiennent les peuples dans l’ignorance, les femmes dans l’esclavage, les enfants dans l’obscurité et qui se prétendent offensés et s’accommodent volontiers de la faim, de la misère et de la guerre pourvu qu’elles épargnent leurs palais. Il est indigné par ceux qui hurlent au blasphème mais ne sont pas offensés lorsque l’on blesse le droit des gens, et pourquoi s’interdirait-on de dessiner leur prophète puisqu’il ne nous est rien ? Faudrait-il aussi refuser de manger du cochon pour ne pas blesser les convictions des juifs et des mahométans, de la vache pour ne pas blesser les indiens ? Il est indigné quand se joint au concert des clameurs le pape Bénédicte, chef sournois de cette secte qui interdit à son peuple de se protéger contre un mal pernicieux qui est cause de tant de morts.
Allons madame, tous ces gens qui vous disent qu’ils aiment mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui sont sûrs de mériter le ciel, serait-ce en égorgeant leur prochain, sont bien méchants et sont plus méchants encore les fripons qui conduisent ces fanatiques et qui mettent le poignard entre leurs mains !

Madame Denis
Ainsi c’est ce que cet auteur va dire ?

Voltaire
C’est ce qu’il va répéter !

Madame Denis
Et l’on va l’accuser d’impiété et d’offense au sacré !

Voltaire
Allons, vous le savez, la seule religion ne consiste ni dans les opinions d’une métaphysique inintelligible, ni dans de vains appareils, mais dans l’adoration et la justice. Faire le bien voilà le culte de l’honnête homme. Le mahométan lui crie « prends garde à toi si tu ne fais pas le pèlerinage à La Mecque !» « Malheur à toi, lui crie un récollet, si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame de Lorette ». Il rit de Lorette et de La Mecque ; mais il secourt l’indigent et il défend l’opprimé.
Mais me voilà bien las, ma nièce et il me faut me reposer, je mettrai cela sur le papier tout à l’heure.