Paris
Auteur de textes à lire et dire et jouer,intervient dans un lieu consacré à l'action culturelle et à la production: LE LOCAL: 18 rue de l'Orillon - 75011. Réalisations récentes: Nasr eddin Hodja avec Salah Teskouk, mise en scène de Gabriel Debray (Le local 2006) Ô Belleville par l'atelier de théâtre contemporain du Local (juin 2007- mise en scène de Gabriel Debray) Tout ça n'empêche pas Nicolas, par les mêmes, juin 2008 les tribulations d'Orphée juin , octobre 2009 ------------------------------------- Pour contacter: cliquer sur le lien "afficher le profil complet"

lundi 16 avril 2007

Résidence les Lilas

La clairvoyance d’un gendarme, ou le hasard, avait enfin permis d’élucider cette ténébreuse affaire qui avait endeuillé et terrifié la petite station balnéaire. Six meurtres en trois mois, c’en était vraiment de trop, les renforts policiers, les aller et venues de la presse régionale puis nationale, avaient atteint profondément la quiétude du petit village habituellement endormi hors de la saison touristique. Les habitants, méfiants, ne se parlaient plus ou ne parlaient que de ça, alors qu’autrefois les échanges portaient sur la couleur du ciel, le mouvement des vents ou les effets de la marée.


Ce qui avait frappé l’opinion ainsi que les enquêteurs d’ailleurs était l’étonnante disparité des victimes : toutes des femmes certes, mais d’âges et de conditions différentes, depuis la grand-mère veuve et retraitée jusqu’à la jeune et sémillante secrétaire de l’office du tourisme, cette dernière étant la plus récente victime. On avait interrogé et ré interrogé tout le monde, sans résultat. Rien ne permettait d’établir des coïncidences entre les existences ordinaires des différentes victimes. A croire que le tueur en série avait frappé au hasard. Mais cela ne collait pas. Les super profileurs missionnés par le Parquet n’étaient d’accord que sur un point : un tueur en série ne frappe pas au hasard, il choisit ses victimes, toute la littérature policière confirmait ce point. Mais quel rapport pouvait-il y avoir entre une secrétaire à l’Office du Tourisme, une grand-mère retraitée, une pêcheuse de bigorneaux, une représentante en articles ménagers, de passage de surcroît, une étudiante en arts plastiques, une épicière unijambiste, une employée du crédit agricole ? Six personnes qui pour s’être croisées dans la grande rue ne s’étaient vraiment adressé la parole et n’entretenaient aucun lien amical, familial ou de circonstance. La seule certitude était que le criminel habitait le village ou les environs. Mais rien, aucun indice, aucune attitude déviante, aucun écart de conduite n’avaient pu éclairer les gendarmes, super gendarmes, journalistes divers, enquêteurs officiels et officieux qui pullulaient et emplissaient en soirée la petite salle à manger de l’hôtel de la plage.


Le gendarme Le Gallec après avoir minutieusement établi les inventaires des objets appartenant aux victimes avait trouvé une coïncidence anodine : tous possédaient un ou plusieurs flacons d’un même parfum bon marché nommé Lilas que le Bazar du Centre avait mis en vente à l’occasion des fêtes de noël. Les six victimes se parfumaient à l’essence de lilas ! Le gendarme Le Gallec avait donc décidé d’explorer cette piste. Une déclaration au Courrier de Paimbeuf et s’en était fait : on recherchait le « tueur au lilas ». On interrogea à nouveau les habitants du village et l’on finit par dénicher un divorcé récent, facteur de son état et qui vraisemblablement avait voulu se venger du genre féminin, particulièrement lorsque, comme son ex-épouse il se parfumait au lilas. Il avoua rapidement et fut déféré à la justice nantaise. Le petit village enterra ses morts et tenta d’oublier en s’affairant à la préparation d’une saison touristique qui s’annonçait excellente du fait d’une publicité inespérée.


La maison de retraite préparait sa fête de printemps. Les ateliers de coloriage et de découpage y travaillaient depuis plusieurs semaines et l’on avait préparé des ribambelles de fleurs en papiers du plus bel effet. Les plus valides s’étaient affairé à la cuisine et l’on avait vêtu les impotents de leurs plus beaux atours. Le coiffeur du village s’était déplacé et avait œuvré pendant deux jours aux frais de la municipalité.
Le moment fort de la fête serait la venue, dans la soirée de la chorale de l’école qui répétait depuis un mois la Romance du lilas sous la direction de l’instituteur, artiste à ses heures et féru de psychologie. Ne voyez aucune ironie morbide dans ce choix, tout semblait oublié et si ce n’était le cas, voyez-y plutôt une revanche de la vie, une façon de forcer le destin : il faut disait l’instituteur, soigner le mal par le mal.




Vers quinze heures, une nouvelle vint troubler la sérénité de cette heureuse journée. On apprit que le « tueur au lilas » avait profité d’un transfert et d’une inattention de ses gardiens pour s’échapper. Monsieur le maire, la directrice de la maison de retraite et monsieur l’instituteur, informés par la préfecture, tinrent conseil et décidèrent qu’il était prudent de reporter les festivités à une date ultérieure. Les enfants furent consignés dans leurs foyers, dans le petit village toutes les portes se fermèrent et les rues se vidèrent.
Restait le repas de fête qui, préparé, ne pouvait être reporté. Les pensionnaires eurent donc droit aux gâteaux et au champagne, ce qui fait qu’il fut impossible de les coucher à huit heures. A huit heures, en outre, on apprit que le fugitif avait été repris. C’est donc l’esprit tranquille qu’on installa tout ce petit monde devant le poste de télévision. Qui eut l’idée saugrenue de faire le choix d’une émission-débat portant sur « la campagne pour les présidentielles ».
On ne sait. Fut-ce le choix d’un pensionnaire ou d’un membre du personnel ? On ne sait. Mais on dénombra dix-sept morts et soixante-trois blessés.